L’intelligence artificielle ou le combat illusoire contre le temps

L’humain essaie de se rassurer en anticipant son futur pour mieux en maîtriser sa destinée. Avant, les oracles parlaient. Puis, face à l’incompréhension de la vie, ses peurs, il inventa le concept de l’intelligence artificielle, qui, au travers des données du passé, cherche à prédire le futur, via des modèles mathématiques prédictifs. Sans remettre en cause le bienfondé de l’intelligence artificielle, qui permet aussi d’intégrer la complexité de nos systèmes, de l’interrelation des humains au sein de leur écosystème, une telle approche ne peut évidemment pas tenir compte du hasard, de cette sérendipité, qui fait que la vie peut prendre des orientations insoupçonnées, des chemins de traverse.

Finalement, l’humain ne ferait-il pas preuve de supériorité, d’une prétention, voulant maîtriser l’immaîtrisable, son futur, sa vie ? La complexité croissante de notre monde, du fait de communications facilitées, accélérées et multiples, rend particulièrement illisibles l’ensemble des conséquences de nos actes, aussi bienveillants soient-ils, tel le battement d’ailes du papillon en Asie. En prendre conscience est probablement déjà un grand pas. Vouloir combattre la mort, rallonger la vie, l’aseptiser, ne serait-il pas une forme de renoncement à notre humanité, à nos faiblesses, à nos doutes, à nos incertitudes ? Telle intelligence artificielle vient prédire, par une analyse fine du capital génétique, le risque de contracter un cancer et, par conséquence, indiquerait la chirurgie préventive à engager pour éviter toute forme de danger. Doit-on s’en remettre au dogme de l’intelligence artificielle ? Que reste-t-il du libre arbitre de chacun ?

L’intelligence artificielle ne doit pas, pour autant, venir occulter cette humanité, c’est-à-dire notre attachement à la vie. Une vie sans surprise, qui plus est, éternelle, mériterait-elle toujours la dénomination de « vie » ? Certes, le progrès, notamment scientifique, comme les vaccins ou demain la radiologie « augmentée », contribue à un « mieux vivre » de l’humanité, dans son ensemble, bien que tous les individus ne pourront pas accéder à ce progrès. Au-delà de cette notion d’équité, cette quête de l’absolue maîtrise des aléas de la vie va rapidement se confronter au but, à l’essence, à l’enjeu. Tout enjeu, aléa ou risque est-il utile à être modélisé et prédit ? Est-il vraiment souhaitable d’orienter les articles selon le comportement des usagers du web, sans les enfermer dans un communautarisme auto-généré ? Sur le même principe, est-il judicieux de maîtriser les appétences des consommateurs à des produits ou les compatibilités des profils sur le principe des affinités, ou bien des orientations sexuelles, comme un algorithme dernièrement développé par des chercheurs à Stanford ? Que devient le niveau de discernement de chacun à se confronter aux apports de l’intelligence artificielle ?

L’intelligence artificielle ne sera jamais la vérité du futur. Et c’est bien le problème de la collusion entre prédictions, possibilités et réalité. L’humain ne se bercerait-il pas d’illusion ? Les nouvelles technologies viennent brouiller le message et rendre poreuse la frontière entre virtualité et réalité. Ce n’est que le discernement individuel, sa capacité à s’interroger, à douter de ses propres convictions, à se confronter à l’autre, qui permettent à (se) comprendre et à agir. En ce sens, l’humain doit sortir de la caverne de Platon, accepter son imperfection, assumer sa finitude et ne pas se contenter de suivre les recommandations de l’intelligence artificielle. Il doit devenir un « humain augmenté », qui garde la maîtrise du progrès technologique … tout en acceptant cette part d’impondérable, ce hasard, qu’Einstein décrivait comme si Dieu passait incognito.

La vie est consubstantiellement un danger. N’est-ce pas le risque, cette épée de Damoclès qui nous rendent vivants ? N’est-ce pas les émotions, les peurs et les surprises qui nous animent au quotidien ? Il est vrai que l’équilibre est très subtil pour l’humain, partagé entre vouloir essayer de maîtriser, à tout prix, son devenir ou s’en remettre à des croyances, abandonner son libre arbitre face à l’improbable.

 « Ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort. » – Antoine de Saint-Exupéry.

 

Publié le 31 octobre 2018