Les effets de la pandémie du Covid-19 se font déjà ressentir et le spectre d’une récession économique majeure fait trembler les gouvernements, même les plus puissants. Si la première puissance économique mondiale tousse, ce sera la planète entière qui sera alitée. À l’instar de la dernière crise dite des « subprimes », la crise actuelle aura des conséquences profondes, de causes à effets, de crise financière, à crise économique, puis sociale, ce sans connaître de frontières.
La sortie de crise va être mouvementée. Tout comme des plans de relance après-guerre (Marshall) ou post-crise (type New Deal), les banques centrales vont tout mettre en œuvre pour maintenir des taux bas, favorables à la consommation, et même si la dette des Etats flambe. L’objectif sera de conforter la croissance. L’Histoire nous apprend que, dans ces situations, les Etats deviennent de plus en plus interventionnistes, avec un objectif de soutien des couches les plus pauvres de la population ou de prévention des faillites, notamment de secteurs à faible rentabilité et forts endettements, comme comme l’automobile, l’aéronautique, l’agroalimentaire ou le BTP. Des nationalisations pourraient même être envisagées. L’époque libérale et très entrepreneuriale, symbolisée par des créations de start-ups, sous l’impulsion des nouvelles technologies, sera de l’histoire ancienne. D’ailleurs, la période à venir sera un véritable crash-test pour ces nombreuses start-ups. Seules celles qui ont su créer un véritable marché subsisteront.
Dans ce contexte, les grandes institutions financières, moteurs de l’économie, vont se retrouver, comme habituellement, en premier plan, et mises à contribution pour la distribution de la dette ou le reversement de primes d’assurances. L’ensemble du système financier sera évidemment soutenu par les Etats sous forme de garanties. Pour autant, le modèle économique des acteurs financiers, notamment les banques était déjà questionné depuis plusieurs années par des taux bas. Il devra encore plus se réinventer pour trouver des sources de revenus complémentaires, et ainsi maintenir un niveau de rentabilité suffisant au regard des réglementations, qui pourraient d’ailleurs se durcir. Or, les stratégies de productivité ne suffiront plus.
Dans un contexte social très certainement tendu, les plans sociaux seront toujours mal vus, surtout de la part d’entreprises qui souffrent d’un déficit d’image lié à leur métier et la relation ambigüe à l’argent. La célèbre citation de Jacques Séguéla s’appliquera aussi aux banquiers. « Ne dites pas à ma mère que je suis dans la pub, elle me croit pianiste dans un bordel. » Ses leviers de réduction des coûts très limités, le secteur financier va devoir pousser plus loin ses réflexions sur son modèle économique. Le digital ne peut plus être qu’un simple levier de productivité. Le digital doit être appréhendé comme le catalyseur d’une transformation beaucoup plus profonde des métiers, poussant les acteurs des services financiers à se projeter encore dans le temps long, ce qui peut paraître un paradoxe en sortie de crise. Ceci devrait être encouragé par la nature-même de la crise actuelle, qui, bien qu’aussi systémique que les précédentes, devrait favoriser une prise de conscience profonde des individus et de la société, de nouveaux enjeux, ceux de l’essentialité.
La spécificité de la crise du Coronavirus est qu’elle est avant tout sanitaire. Ses conséquences se mesurent en nombre de morts, rappelant à chacun, que personne, quelle que soit sa condition, n’est à l’abri. Elle vient nous rappeler la fragilité de nos vies, fait prendre conscience de l’existence à l’ensemble de la population, de son rapport à la mort, de la relation à autrui, à l’appartenance à un collectif. Elle réveille les consciences de la léthargie confortable du rythme « métro-boulot-dodo », là où les individus, trouvant une place dans l’économie, nourrissent une raison d’être ou de vivre, du fait d’une utilité économique. Certes, des événements passés ont mis en exergue des « dysfonctionnements » de ce système, comme le mouvement des « Gilets Jaunes », qui était initialement la réaction de la mise à l’écart de ce système économique, d’une frange de la population.
Aujourd’hui, chaque individu comprend non seulement sa fragilité, prend conscience de son rapport à la mort et donc à la vie, mais également sa dépendance avec les autres, l’importance de son appartenance à un groupe social, et surtout sa responsabilité vis-à-vis des autres. Le rapport au travail en sera complètement modifié, voire inversé d’un point de vue du pouvoir entreprise-salarié. Dans ce cas, les entreprises devront apprendre à conjuguer temps court et temps long, dans un nouveau capitalisme beaucoup plus responsable, plus humain.
Le temps long pour une banque par exemple, c’est prendre encore plus conscience de son écosystème et de sa responsabilité vis-à-vis de la société, des humains, voire de l’espèce humaine et de sa pérennité. Au même titre que les individus en sortiraient plus sensibilisés quant à leur responsabilité dans le collectif de la société, les banques devraient intégrer, dans leur modèle économique, dans leurs pratiques managériales, « les leviers de l’essentialité », pour un capitalisme plus humain. Une banque « essentielle » se caractériserait par :
En conclusion, est-ce que la crise du Covid-19 sera le coup de semonce pour un modèle de société et économique qui montre, depuis plusieurs décennies, des signes de fatigue ? Une voie existe entre un capitalisme omnipotent et un communisme administratif et déshumanisant. C’est celle d’un capitalisme responsable et humain, alliant le temps court de la performance financière et le temps long de l’humanité, alliant la propriété matérielle et le développement personnel, subtil équilibre entre individualisme et autonomie. Les banques seront aux premières loges de cette prise de conscience.
Cette crise majeure crise aura mis en évidence les activités dites « essentielles ». L’enjeu pour une entreprise, a fortiori pour une banque, de coller aux besoins de la fameuse pyramide de Maslow pourrait être un indicateur d’essentialité et donc de valeur ajoutée à l’humanité. La banque, réfléchira-t-elle non plus sur sa stratégie digitale, mais sur sa stratégie essentielle ?
Essentielle, la banque de demain sera humaine ou ne sera pas !
Publié le 31 mars 2020