Plus que les entreprises, libérer les énergies !

  • Published on February 20, 2018

L’avènement des nouvelles technologies vient non seulement accélérer la remise en cause des modèles économiques des entreprises dites alors traditionnelles, dans une forme d’hybridation entre homme et machine, mais aussi, de manière plus profonde, les modes de management, et plus généralement la relation au travail.

Le monde hybride de demain questionne la place réservée à l’humain !

La question de la raréfaction du travail dans une société où les nouvelles technologies prennent de plus en plus de place anime les réseaux sociaux, les économistes, les politiques, entre messages rassurants et inquiétudes inavouables. Une étude menée par des économistes du MIT démontre que plus de 670.000 emplois auraient été détruits aux États Unis dans l’industrie manufacturière de 1997 à 2007, alors que les robots se seraient démultipliés dans l’industrie, sans augmentation du nombre d’ingénieurs ou de services associés. Cette même étude projette que, dans une vingtaine d’années, la moitié des emplois pourraient être détruits. Les cadres se rassurent, en soulignant que cela ne les concernerait pas, et que seuls les métiers à faible valeur ajoutée disparaîtraient. Or, des outils d’intelligence artificielle, par exemple, remplacent des activités de recherche des jurisprudences dans des cabinets d’avocats américains.

Un des enjeux majeurs pour la société est de définir la place de l’humain dans un monde automatisé, numérisé. L’humain doit pouvoir réaffirmer ce qu’une machine ne pourra pas reproduire, comme la créativité, les émotions, la rencontre. Une bonne part des inventions a émergé selon le principe de la sérendipité, le hasard devenant source d’opportunités. Le post-it a été créé par un inventeur qui cherchait à inventer une colle qui colle encore plus fort. En se trompant, il créa une colle qui ne colle pas, ce qui a permis l’apparition des post-it. Sans parler de la fameuse tarte Tatin ! « Errare humanum est » est bien ce qui distingue l’humain des robots, au-delà des bugs. Se tromper, sortir de sa zone de confort et entreprendre, éprouver des émotions, créer, sont bien les singularités de l’humanité. Se tromper, c’est être sûr de sortir de sa zone de confort, d’apprendre sur soi, de progresser, de vivre littéralement. Et, oser, c’est vivre, en redonnant du sens à l’existence ! Ces spécificités doivent ainsi permettre de redéfinir le rôle, le travail assuré par les humains dans un monde numérisé. Vive l’erreur !

Les nouvelles technologies ne doivent pas empêcher le droit à l’erreur !

Nos éducations, nos peurs, nous poussent à vouloir prédire l’avenir, en limitant les risques d’erreur. Aimerait-on vraiment un monde où nous saurions tout ce qui va se profiler sur nos chemins de vie ? L’utilisation poussée à l’extrême des nouvelles technologies cherche à anticiper, à prédire l’insondable. L’épisode « Hang th DJ » de Black Mirror met en scène une plateforme de rencontres qui organiserait les relations humaines sur fond d’intelligence artificielle et taux de matching. Cette approche relève du principe de la « rationalité limitée », qui s’appuie sur la volonté analytique, mais vaine, d’envisager l’ensemble des possibilités et de les qualifier. Cette logique annihile l’innovation, la création, l’erreur, la vie. Par exemple, dans une quête jusqu’au-boutiste de l’éternité, les dérives de type eugénique poussent les limites non pas de la morale, mais bien de l’essence même de la vie. Paradoxalement, le principe serait d’affirmer que « Plus il y a de la technologie, plus il faut d’humain ! », ou plus de suivre les conseils de Saint-Exupéry qui nous rappelle que « Ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort. ».

Dans notre environnement de plus en plus complexe, il est, en fait, illusoire d’essayer de contrôler les développements technologiques, notamment par le truchement des lois, de règles, qui seront inévitablement contournées par les individus et leurs intentions. Comment ne pas faire le parallèle avec « l’apprenti sorcier » de Disney, qui se trouve débordé par la multiplication et l’autonomisation des balais et leur autonomie pour ne pas avoir à travailler lui-même. C’est pour cette raison que le progrès technologique doit nécessairement s’accompagner d’un progrès moral. L’individu sera le dernier rempart, en s’interrogeant, en cultivant le doute et en faisant preuve de discernement quant au progrès technologique, avec le souci de la pérennité de l’utilité de l’humain pour l’humain. La prise de conscience par chaque individu, de sa singularité, mais aussi du collectif, est essentielle. Le système éducatif doit permettre à chacun de développer son propre discernement, c’est-à-dire assurer son émancipation face aux informations et à ses actes, son autonomie, son esprit critique dans un projet collectif qui dépasse même ses propres intérêts. Le dernier sujet concernant les « Fake news » m’interpelle particulièrement. Qu’est-ce qu’une « Fake news » ? Qui déterminera sa qualité ? Qui assurera la notion de vérité ? L’Etat ou le gouvernement ou d’autres institutions ? La communauté à laquelle on appartient ? Soi ? Les autres ?

Le développement du discernement de l’individu repose sur sa capacité à rencontrer l’autre, le comprendre, à entretenir le doute, le questionnement, à apprendre. Certes, l’incertitude de l’environnement favorise le repli sur soi. Les réseaux sociaux et les moteurs de recherche favorisent cet enfermement communautaire, en orientant l’information selon le profil de l’utilisateur et l’historique de ses navigations. La recherche d’une identité ne doit pas aller à l’encontre du développement d’une culture ouverte, qui se traduit par un projet commun, un socle du « vivre ensemble », avec le respect de chaque liberté individuelle, du moment où elle n’empiète pas sur celle de l’autre, dans un principe de tolérance mutuelle. Là aussi, Saint-Exupéry nous indique que « loin de léser, les différences m’enrichissent. »

La notion de tout groupe humain, d’entreprise et même de nation, est consubstantiel à l’existence d’un projet collectif solide, qui laisse les libertés individuelles s’affirmer, avec le souci de la pérennité de l’espère humaine. La réalisation de soi met en exergue l’égo, non plus dans une compétition avec l’autre et un rapport finalement de dépendance à l’autre, mais dans une totale autonomie. Sans plagier la pensée de Malraux qui affirmait que le 3ème millénaire serait spirituel ou pas, l’avenir de l’humain ne serait-il pas un « individu-holomorphe », qui sait ce qu’il est, ne se renie pas et contribue, en toute autonomie, à un projet collectif ?

L’entreprise est une chance formidable de rencontrer l’autre, de douter et de s’accomplir !

L’homme est indéniablement cet animal social, qui s’accomplit dans la relation à l’autre et dans la reconnaissance de son utilité à un groupe. Revenir aux fondamentaux pour une entreprise, c’est participer à la redéfinition de la relation des individus au travail, en abandonnant les préceptes issus par la révolution industrielle, que ce soit l’organisation hiérarchique des entreprises, la mise en place de statuts, que l’émergence des classes sociales en miroir. Au cœur de nos vies, le travail est jusqu’à maintenant, un moyen important d’accomplissement personnel et de positionnement social. Cependant, face aux incertitudes, les individus croient de moins en moins aux promesses des entreprises, comme des plans de carrière, la sécurité de l’emploi, la formation, et cherchent de plus en plus à (re)donner du sens dans leurs actes, leurs choix. On assisterait même à une sorte d’inversion de la relation de pouvoir entre l’individu et l’entreprise. En effet, il est probable que seuls les entreprises ou groupes d’humains ou encore communautés, qui sauront générer de l’envie, en inspirant par une vision engagée, avec un impact positif sur la société, et une cohérence dans leurs valeurs institutionnelles et opérationnelles, attireront les talents et les fidéliser. A terme, les hommes et femmes pourraient même choisir leurs conditions de travail, comme un « pied de nez » à un travail qui se raréfierait.

Au sein des entreprises, celles qui se dénomment libérées, de nouvelles relations humaines se développent par la mise en avant de valeurs, telles l’autonomie et l’authenticité, propices à l’épanouissement des individus. La liberté absolue n’existant pas, ce qui reviendrait à une forme d’indépendance ou d’autisme, l’autonomie se traduit paradoxalement par la formalisation des marges de manœuvre pour les individus et de facto la reconnaissance de leur rôle dans l’entreprise. Savoir déterminer ce cadre intangible, identité propre du groupe, contrepartie des moyens à disposition, est clé pour, par différence, établir les zones de liberté laissées à chacun. Libérer les énergies passe par établir un cadre ! L’autre valeur primordiale est l’authenticité dans les relations, qui plus est, avec le management. L’authenticité ne peut être reconnue que si le management cherche à libérer les individus de leurs peurs, de ses propres leviers de pouvoir, qui sont autant de freins à l’initiative, à oser entreprendre. Etre authentique, c’est parler avec son cœur, sans arrière-pensée, ni attente de retour. Certains diront que ce n’est pas adapté à un discours en entreprise. Je leur répondrai volontiers : « Pourquoi pas ? ». Au titre d’une vie, qu’avons-nous à perdre ou à gagner ? Qu’avons-nous à cacher ? Croyons-nous que laisser parler son cœur soit une faiblesse ? Si nous sommes résolument dans une démarche bienveillante envers les autres, pourquoi porter un masque, un filtre en entreprise ou ailleurs ? En fait, l’authenticité n’est que la conséquence d’une prise de conscience que rien n’est réellement important, si ce n’est de se renier. L’autre, n’est-il pas notre miroir ? Les jugements que nous leur portons, ne sont-ils pas notre propre jugement sur nous-mêmes ? Faire preuve de discernement, c’est aussi douter sur soi-même. Combiner authenticité et autonomie favorise cette prise de conscience de l’essence-même du travail, de son sens profond, à savoir, son accomplissement personnel par la rencontre et l’enrichissement au contact de l’autre et par la concrétisation de son utilité à l’autre.

Le manager et son style sont devenus des leviers fondamentaux de transformation des entreprises. Plus qu’un simple gestionnaire détenteur d’un statut, d’un pouvoir hiérarchique, le leader développe l’envie des collaborateurs, en donnant du sens au travail au travers du projet d’entreprise et de sa raison d’être. Les managers d’un genre nouveau accompagnent les aspirations des collaborateurs, savent révéler les compétences de chacun, initient et encouragent le partage de la connaissance. Car, il faut, en fait, apprendre à partager l’information et non la détenir, comme nous le propose Idriss Aberkane. « L’information est le pouvoir ! » est une formule d’un autre temps. Créer, actionner, partager son propre écosystème, son réseau, est la réponse à la complexité de l’entreprise et de la société dans son ensemble. Couplées aux valeurs précitées, l’entreprise, bien plus que libérée, permet l’émancipation des individus et les aide à prendre du plaisir à apprendre, à s’engager dans des initiatives porteuses de sens, à susciter l’expérimentation, et même si le sujet n’est pas totalement cadré. La remise en cause de notre culture rationnelle serait-il le salut de notre société, des entreprises, de chacun de nous ?

Certains diront que tout ceci est ridicule. Ce même Idriss Aberkane rappelle que toute bonne idée passe finalement par trois étapes. Initialement, on la trouve ridicule, puis dangereuse, enfin évidente. L’avenir nous le dira !

Libéré de ses propres peurs et conscient de l’incertitude de l’avenir, mais bien ancré dans le présent, avide de cette sérendipité et de toutes les possibilités que lui réserve la vie, l’individu comprend alors que son accomplissement personnel est le fruit d’un chemin, de son travail, de son utilité aux autres, sans attendre un quelconque retour, si illusoire, si éphémère. D’ailleurs, Saint-Exupéry ne s’y trompe pas, en rappelant que « Quand tu donnes, tu perçois plus que tu ne donnes, car tu n’étais rien et tu deviens ! »

 

Publié le 18 février 2018